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2009 - Le designer (FR)

(Article in french)

Le Designer
Les armoiries,
ou l’emblématique de la persistance
par Laurent Granier, Héraldiste

Les armoiries sont les ancêtres de nos actuels logotypes comme ceux de tous les systèmes symboliques qui trouvent leurs racines en occident. Elles sont aussi leurs contemporaines puisque toujours bien vivantes après neuf siècles d’existence…
Rappelons ici de façon succincte que les armoiries sont apparues dans la première moitié du XIIe siècle d’un besoin crucial d’identification des combattants dont l’évolution de l’équipement défensif empêchait toute reconnaissance visuelle les uns des autres. Dès le XIIIe siècle, les armoiries deviennent extrêmement populaires et se répandent dans toutes les catégories de la société médiévale notamment par le biais de l’usage des sceaux qui dans une population majoritairement analphabète remplace avantageusement la signature autographe. Ainsi très rapidement et pour de nombreux siècles, les armoiries phénomène de mode sans précédent dans l’histoire et à l’échelle du continent européen deviennent des marques de propriété et en même temps, de décoration sur tous les supports imaginables.
Les armoiries se distinguent de tous les autres symboles humains par le fait qu’il s’agit d’emblèmes organisés et héréditaires. En outre, elles ont la caractéristique unique dans le domaine de la sémiologie d’être décris par une langue, le blason qui possède son propre vocabulaire, sa propre grammaire et syntaxe. Un blasonnement (description d’armoiries) permet en effet de retranscrire littéralement sous la forme d’une phrase un dessin et vice-versa.
La principale caractéristique de l’image héraldique est la stylisation. Un lion héraldique ne partage en effet que très peu des caractéristiques zoomorphes de son devancier animal et malgré tout, il possède ses propres caractéristiques qui le font se distinguer au premier coup d’œil du reste du bestiaire héraldique.

L’emblématique héraldique est couramment utilisée et depuis longtemps pour l’identification des personnes physiques mais aussi des personnes morales telles que communautés religieuses, clubs, sociétés savantes, universités, écoles et bien sûr les communes. Elle a d’ailleurs été longtemps la seule emblématique disponible avant l’apparition des logotypes, c’est-à-dire très tardivement.
Tous les acteurs économiques de la société de l’Ancien Régime possédaient des armoiries qui figuraient sur les enseignes de leurs boutiques, les poinçons identifiants leurs produits, leurs factures, leur papier à lettres etc.
C’est dans le domaine de la vie économique que les armoiries ont cédé le plus de place aux logotypes notamment en France depuis la Révolution Française à l’exception des produits de luxe, de ceux du terroir comme le vin et les spiritueux. Dans les pays anglo-saxons et notamment en Angleterre, très nombreuses sont les entreprises dans tous les domaines d’activité qui possèdent leurs armes dûment créées et enregistrées par le College of Arms (l’autorité héraldique de l’Angleterre, du Pays de Galles, de l’Irlande du Nord, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande…). Les pays de tradition héraldique anglo-saxonne comme le Canada, l’Irlande ou ceux ayant des institutions monarchiques produisent une héraldique corporative bien vivante.

Actuellement, l—eur utilisation est souvent secondaire par rapport au logotype qui identifie l’entreprise aux yeux de tous. On peut même parler d’emblèmes à usage interne qui dans l’esprit des dirigeants donnent une identité quasi familiale à la communauté constituée par les membres de l’entreprise. Ils figurent alors naturellement sur les documents internes de la société. C’est en quelque sorte le visage privé de l’entreprise en tant qu’intuitu personae et non plus son image façade universelle conçue pour l’extérieur et représentée par le logotype, qui parfois peut manquer quelque peu d’humanité…
Une société comme Harrod’s utilise volontiers ses armoiries sur les diplômes remis à ses salariés et à l’occasion de ses actions de mécénat.
L’utilisation des armoiries comme emblématique principale n’est pas pour autant impossible au XXIe siècle même si elle est plus rare et plus délicate à mettre en œuvre qu’une image de marque conventionnelle.

Un moyen terme efficace consiste en l’utilisation de ce que j’appelle les logotypes armoriés qui sont en fait des symboles héraldiques affranchis du contexte traditionnel des armoiries. Il est possible par exemple d’utiliser une tête d’aigle héraldiquement stylisée et de l’employer dans un contexte de traitement et d’environnement graphique totalement contemporain.

Ces deux dernières utilisations des armoiries dans l’emblématique professionnelle pour leur mise en œuvre nécessitent obligatoirement une profonde connaissance des us et coutumes héraldiques. Un novice ne pourra rien faire de bon à l’instar de l’illettré qui se lancerait dans l’écriture d’un roman…

Les armoiries symboliseront toujours dans l’esprit humain, quel que soit l’air du temps, la persistance de la tradition du symbole intrinsèquement humain.

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Laurent Granier est un artiste français de réputation internationale. Il a une formation universitaire de Lettres et d’Histoire et autodidacte en matière de graphisme.Il exerce ses talents de créateur d’armoiries (sa spécialité) depuis 1995 pour des particuliers, des institutionnels et des entreprises sur les cinq continents.
Il est peintre héraldiste officiel du Vlaams Heraldische Raad (Autorité Héraldique Flamande).
Jean-Jacques Urvoy